La Suisse a fait preuve d’un remarquable esprit collectif durant la crise. Cette solidarité sera nécessaire à l’avenir aussi. Notamment pour répondre aux attentes des professions dites « systémiques », occupées essentiellement par des femmes et où les salaires doivent être revalorisés. Bilan intermédiaire de la crise du coronavirus.
Le quotidien reprend son cours, à la fois familier et un peu étrange. Nous avons retrouvé la liberté mais nous ne sommes pas encore tout à fait libres. Rues et trottoirs sont presque aussi animés qu’avant la crise, les écoles et les commerces ont enfin rouvert, l’économie redémarre. Mais le risque d’une rechute reste bien présent, les règles d’hygiène et de distance s’imposent toujours.
Pas de solidarité sans responsabilité individuelle
Alors que le discours politique a souvent tendance à opposer la responsabilité individuelle et la responsabilité collective, la crise a montré de manière forte que l’une n’existe pas sans l’autre. Il n‘y a pas d‘intérêt général sans solidarité et il n’y a pas de solidarité sans responsabilité individuelle.
Suivre les règles de comportement et d’hygiène ne sert pas seulement à se protéger soi-même, il s’agit avant tout d’un acte de solidarité. Cet effort collectif nous restera comme un des grands marqueurs de cette crise : la capacité de chacune et de chacun, dans les moments les plus difficiles, d’être là les uns pour les autres, à sa manière et dans les limites de ses possibilités. Nous avons montré que nous en sommes capables, lorsque la situation l’exige.
La responsabilité individuelle ? C’est guider nos actions en ayant conscience que nos actes ne restent pas sans conséquences, car nos comportements individuels influencent le fonctionnement de la société.
Nous ne sommes alors plus seulement une société. Nous sommes une communauté, qui a surmonté jusqu’ici avec succès cette épreuve sanitaire, économique et sociale.
Une recherche permanente de l’équilibre
La recherche permanente d’équilibre entre différents intérêts, différentes identités fait la force de la Suisse. Elle est l’essence de sa cohésion. Cette recherche d’un équilibre acceptable pour tous a aussi marqué notre quotidien pendant la crise du coronavirus. La préoccupation permanente du Conseil fédéral était de protéger la santé de la population et les besoins de l’économie, à maintenir un équilibre entre contrôle et liberté, à prendre des mesures qui s’imposaient du point de vue épidémiologique tout en étant susceptibles d’être acceptées par tous.
Cette voie du milieu est-elle celle de la facilité? Non, la voie choisie est celle de la raison et de la proportionnalité. Celle qui confirme que la prise en compte des arguments des uns et des autres permet de trouver les meilleures solutions.
Conformément à notre culture démocratique, le Conseil fédéral a misé sur l’intelligence collective et le discernement. Contraindre à adopter un certain comportement ne fonctionne pas. Il faut convaincre. Cette approche a permis d’éviter des mesures extrêmes, à un moment où d’autres pays restreignaient bien davantage les libertés de leurs citoyens.
Nos institutions ont tenu le choc
Au cours des dernières semaines, le Conseil fédéral a entretenu un dialogue permanent: avec les cantons, les partis, les partenaires sociaux, les associations, la communauté scientifique, les pays voisins, l’Union européenne ou encore avec l’Organisation mondiale de la santé. Préserver les mécanismes de base de notre système fédéraliste est essentiel, même dans le cadre très particulier du droit de nécessité. Le respect mutuel et la confiance réciproque entre la Confédération et les cantons ont toujours été perceptibles.
Au Conseil fédéral, nous avons intensément débattu, parfois vivement, avec pour seul objectif de trouver les meilleures solutions possibles pour le pays. Notre système collégial s’est avéré un atout majeur: il permet de partager les responsabilités, même quand il faut agir sans attendre et prendre des décisions lourdes de conséquences.
Robuste et complexe
La crise du coronavirus a prouvé que notre pays est suffisamment robuste pour gérer une crise sanitaire d’ampleur planétaire. Avec autant d’efficacité que des Etats autoritaires ou centralisés, que certains considèrent plus réactifs quand il s’agit de gérer l’urgence.
La Suisse a ainsi été l’un des premiers pays à passer à l’action et à interdire les grandes manifestations. Nous avons ensuite rapidement renforcé notre dispositif de protection, en fermant par exemple les restaurants, les commerces et les écoles.
Cette situation extraordinaire est prévue dans la loi sur les épidémies. Il n’empêche: la décision a choqué, dans une Suisse si attachée à ses libertés. Notre démocratie n’a pas été affaiblie pour autant. Cet épisode singulier touche à sa fin, le Parlement s’est remis au travail et le débat politique a repris avec son intensité habituelle.
La Suisse est complexe. Sa culture politique repose sur un dialogue national permanent et exige de l’empathie.
Si le virus a fait bien des dégâts pendant la crise, il n’a pas endommagé cet ADN helvétique. Alors que le Tessin et la Suisse romande étaient davantage touchés que la Suisse alémanique, que les villes étaient plus durement frappées que les campagnes, il a fallu trouver un chemin tenant compte de ces spécificités régionales, sans menacer la stratégie nationale.
Pragmatisme et humilité
Pragmatisme, souplesse, calme et humilité: les grands traits de caractère qui font la Suisse ont été déterminants pour nous aider à surmonter la crise, une crise dans laquelle le virus a donné et donne encore le tempo. Nous avons dû apprendre à dompter l’incertain. Et cette situation va perdurer. Car ce qui est valable aujourd’hui ne le sera peut-être plus demain.
Le doute est légitime. Emettre des hypothèses, essayer, se tromper, puis essayer encore est à la base du progrès. Bien sûr, tout n’a pas été parfait. Certaines décisions ont été corrigées. L’essentiel est de toujours avancer, de rester concentrés et déterminés, malgré les aléas et les contingences. Sans oublier de dire ce que l’on sait – mais aussi ce que l’on ne sait pas.
Engagement de chaque instant
Les défis ne vont pas manquer à l’avenir. Mais nous tenons le cap, grâce aux institutions et grâce à toutes celles et ceux qui ont démontré un engagement sans faille durant ces derniers mois. Grâce à eux, notre pays n’a jamais cessé de fonctionner, des hôpitaux au ramassage des déchets, en passant par l’ensemble de la chaîne alimentaire, la distribution du courrier ou l’approvisionnement en énergie.
Aux hôpitaux de Sion, de Genève et de Berne, lors d’une rencontre avec le gouvernement tessinois, dans des homes pour personnes âgées à Köniz ou à Zurich, au drive-in de dépistage de Lucerne, dans les locaux du soutien psychologique à Coire, ou encore à Fribourg dans les commerces confrontés aux nouvelles règles de protection: aller régulièrement sur le terrain m’a permis de vivre en direct cet engagement impressionnant.
Valoriser les professions «systémiques» féminines
Cette crise, la plus importante depuis la Deuxième Guerre mondiale, a montré que la progression de l’individualisme – et parfois aussi de l’égoïsme – n’a rien d’inéluctable. Car oui, notre société est solidaire. Jamais la distance physique n’a empêché la proximité sociale, notamment entre les générations.
Cette solidarité nous engage. Durant la crise, nous avons protégé les personnes que la santé fragile rendait vulnérables. Après la crise, il ne faudra pas oublier ceux que la crise a rendu fragiles économiquement: celles et ceux qui ont perdu leur travail ou qui luttent pour assurer la viabilité d’une entreprise, d’un restaurant ou d’un projet culturel.
Nous ne devons pas non plus oublier celles et ceux qui se sont engagés dans ces «secteurs systémiques» que sont la santé, l’accueil des enfants ou l’alimentation. Les femmes y sont surreprésentées, les salaires sont souvent bas et les conditions de travail difficiles. La justification habituelle? Ces professions ne génèrent que des plus-values modestes. L’argument est insatisfaisant dans une perspective de justice sociale. Un pays riche et responsable n’a pas le droit de fermer les yeux. Il doit identifier les inégalités, puis les corriger.
A la fin du mois du mois février, quand la situation a basculé, nous nous sommes demandé si nos institutions seraient assez robustes pour tenir le choc de cette pandémie, si notre système réputé pour sa lenteur serait capable d’affronter un phénomène à la croissance exponentielle. Aujourd’hui, nous avons la réponse: la Suisse a fait ses preuves.